Épisode 1 : De Louise de Savoie à Léonard de Vinci - Genèse d'une capitale rêvée

Avez-vous déjà imaginé que Romorantin aurait pu devenir la capitale de France ? Cette idée vous paraît sans doute folle. Pourtant, au XVIe siècle, cette petite ville de Sologne faillit bien détrôner Paris.

Nous sommes en 1516. François Ier vient de monter sur le trône. Sa mère, Louise de Savoie, règne depuis son château de Romorantin. Cette femme de pouvoir, souvent oubliée par l'histoire, nourrit un rêve grandiose : transformer sa ville en cité idéale.

Pourquoi Romorantin ? La réponse tient en quelques mots : stratégie et sécurité. Paris reste vulnérable après la guerre de Cent Ans. Le jeune roi cherche un nouveau centre pour son royaume. Sa mère lui souffle l'idée parfaite.

Une mère visionnaire au pouvoir

Louise de Savoie n'est pas qu'une mère aimante. C'est une politique redoutable. Duchesse d'Angoulême, régente du royaume pendant les campagnes militaires de son fils, elle mène déjà ses propres réformes.

Dès 1512, elle modernise Romorantin. Agrandissement de l'enceinte, pavage des rues, réfection des remparts. Ses travaux posent les bases d'un projet plus ambitieux. Dans sa correspondance, elle évoque sa "nouvelle Rome", écrin rêvé pour la dynastie Valois.

Connaissez-vous beaucoup de femmes qui ont pensé l'urbanisme de leur époque ? Louise de Savoie fut de celles-là. Son influence dépasse le simple mécénat. Elle finance l'importation de 80 000 ceps de vigne bourguignonne. Ces plants donneront naissance au cépage Romorantin, qui existe encore aujourd'hui.

François Ier séduit par l'audace

Le roi embrasse rapidement la vision maternelle. Son calcul est double : déstabiliser les Habsbourg en déplaçant le cœur du royaume, et réaliser une synthèse entre héritage français et innovations italiennes.

Pour concrétiser ce rêve, il fait appel au plus grand génie de son temps. Léonard de Vinci, installé au Clos Lucé depuis 1516, reçoit une mission extraordinaire : dessiner la capitale idéale.

Les archives municipales de Romorantin attestent d'allocations royales substantielles dès janvier 1518. 4 000 livres or pour rendre "la Sauldre navigable jusqu'à la Cher". Ce financement colossal marque le début d'une aventure inouïe.

Imaginez-vous cette époque ? Un roi de 24 ans, une mère ambitieuse, un génie italien. Tous unis pour créer la ville parfaite. Romorantin devient le laboratoire d'un nouvel ordre urbain.

L'eau, clé de voûte du projet

Louise de Savoie comprend l'enjeu central : l'eau. Elle soutient activement le volet hydraulique du projet. Transformation des marais de Sologne en terres irriguées, système de drainage inspiré des travaux vénitiens de Léonard.

Sa vision dépasse l'urbanisme. Elle imagine une zone manufacturière avec huit moulins hydrauliques pour industrialiser la production lainière locale. Cette approche anticipe les politiques d'aménagement du territoire par quatre siècles.

Ses Mémoires révèlent une volonté claire : faire de Romorantin "le miroir de la puissance française". Associer prestige dynastique et modernité technique. Un pari fou pour l'époque.

Que serait devenue la France si ce rêve s'était réalisé ? Louise de Savoie et son fils ont failli changer le cours de notre histoire. Leur audace nous interroge encore aujourd'hui sur ce que peut accomplir une vision partagée.

Mais comment ce rêve maternel va-t-il prendre forme concrète ?

C'est là qu'intervient le génie de Léonard de Vinci. Le maître italien ne se contente pas de dessiner des châteaux. Il va transformer cette ambition politique en révolution urbanistique.

Comment transformer un rêve en réalité ? Léonard va nous le montrer. Ses carnets révèlent une vision stupéfiante. Romorantin devient le laboratoire d'une modernité inouïe. Fini les villes sales et malodorantes du Moyen Âge. Place à la cité idéale.

Que trouve-t-on dans les dessins du Codex Atlanticus ? Une ville organisée autour de l'eau. Léonard fait de cet élément le cœur battant de sa création. L'eau circule, nettoie, transporte, embellit.

L'eau, génie de la ville

Le projet repose sur un système révolutionnaire : des canaux à deux niveaux. Imaginez cette innovation pour l'époque !

En haut, les canaux nobles. Ils transportent les élites et alimentent la ville en eau potable. Des conduites souterraines distribuent cette eau pure dans chaque maison. Un luxe inimaginable au XVIe siècle.

En bas, les canaux du peuple. Commerce, artisanat, moulins à drap s'y épanouissent. Mais surtout, ils évacuent les déchets grâce à un système d'égouts révolutionnaire.

Léonard rêve plus grand encore. Il étudie le tracé d'un canal Seine-Saône-Loire. Relier la Manche à la Méditerranée ! Son projet Romorantin-Vierzon doit connecter la Sauldre au Cher, puis à la Loire.

Ses écluses à sas préfigurent celles de Panama. Cinq siècles d'avance sur son temps.

Des maisons du futur

Connaissez-vous beaucoup de logements du XVIe siècle avec l'eau courante ? Léonard en dessine pour Romorantin. Ses habitations modulaires à quatre étages révolutionnent l'habitat.

Eau chaude et froide dans chaque foyer. Ventilations mécaniques actionnées par des roues hydrauliques. Fini l'air vicié des maisons médiévales.

Le maître pousse l'innovation jusqu'aux écuries. Ses dessins montrent des systèmes automatisés d'évacuation des déchets animaux. Prévenir les miasmes, assainir la ville.

Dans ses notes, il écrit vouloir éviter "les agglomérations de gens entassés comme des chèvres, emplissant l'air de leur puanteur et répandant la peste".

Une révolution sociale

Léonard ne pense pas qu'architecture. Il imagine une société nouvelle. Ses espaces publics généreux transforment la vie urbaine.

Places avec fontaines, jardins suspendus, écoles et centres récréatifs. L'Agora grecque inspire ses créations. La ville devient lieu de rencontre et d'échange.

Cette vision sociale dépasse son époque. Léonard comprend que l'urbanisme façonne les comportements. Une ville belle et fonctionnelle élève ses habitants.

Ses dessins montrent des quartiers spécialisés. Ici les artisans, là les marchands, plus loin les nobles. Mais tous reliés par l'eau, cette artère commune qui unit la cité.

Le rêve d'un canal européen

L'ambition de Léonard dépasse Romorantin. Il rêve d'un axe fluvial trans-européen. Son canal Seine-Saône-Loire réaliserait le vieux rêve carolingien.

Les études techniques sont poussées. Tracés précis, calculs de débit, systèmes d'écluses. Rien n'est laissé au hasard. Le génie italien maîtrise tous les aspects de son projet.

Cette voie navigable ferait de Romorantin le carrefour de l'Europe. Marchandises et idées circuleraient librement. La petite ville de Sologne deviendrait un hub commercial majeur.

Pouvez-vous imaginer l'impact ? Romorantin rivale de Venise, Amsterdam ou Londres. Le destin de l'Europe aurait basculé.

L'héritage technique

Les innovations de Léonard pour Romorantin marquent l'histoire de l'urbanisme. Ses systèmes hydrauliques inspirent encore nos ingénieurs.

Ses écluses à sas, ses canaux différenciés, ses réseaux d'assainissement. Tout cela semble évident aujourd'hui. En 1518, c'était révolutionnaire.

L'historien Carlo Pedretti compare son projet au Tennessee Valley Authority de Roosevelt. Même approche systémique, même vision d'aménagement du territoire.

Léonard invente l'urbanisme moderne. Quatre siècles avant Haussmann, il pense la ville comme un organisme vivant. L'eau y circule comme le sang dans le corps humain.

Cette vision organique influence encore nos urbanistes. Face aux défis climatiques, les villes cherchent des solutions hydrauliques durables. Les canaux différenciés de Romorantin retrouvent une étonnante modernité.

Mais ce rêve magnifique va-t-il se réaliser ? Les obstacles s'accumulent déjà. Louise de Savoie et son fils vont-ils tenir leurs promesses ?

La semaine prochaine, nous découvrirons comment ce projet grandiose s'effondre brutalement. Mort, maladie, argent : les ennemis du rêve se liguent contre Léonard.