La Vérité dans le Tiroir : Albert et le Manuscrit Perdu de la Tarte Tatin
Dans la lueur tamisée du Petit Ripailleur, Albert essuie un verre avec un torchon qui a vu plus d’une bataille culinaire. Un client, le visiteur du jour, vient de commander une tarte Tatin en évoquant « la légende des sœurs étourdies ». Le restaurateur marque une pause, ses sourcils broussailleux se fronçant comme les branches d’un pommier solognot. Il pose le verre, traverse la salle d’un pas lent, et ouvre un tiroir en chêne sculpté, caché derrière le zinc.
« Tenez, mes gars, » lance-t-il, la voix rauque comme du gravier sous les bottes.
Il en sort une pochette plastifiée, protégeant une photocopie jaunie.
« Ça, c’est pas une histoire à dormir debout. C’est le témoignage de Marie Souchon, une femme qui savait compter les pommes et les vérités. »
Le Manuscrit Oublié de 1890
Albert déplie le document avec une déférence d’archiviste. Le texte, d’une écriture fine et appliquée, décrit une recette millimétrée :
« Se servir d’un plat en cuivre […] Feu égal dessus et dessous […] Pâte roulée à 1 mm d’épaisseur »
« Vous voyez ça ? » pointe-t-il du doigt.
« Pas un mot sur une tarte qui tombe par terre. Pas de fable de four oublié. Juste une technique de pro : cuisson sous couvercle garni de braises, pommes rangées en couches serrées, sucre et beurre pétris ‘énergiquement’. »
Marie Souchon, institutrice à Lamotte-Beuvron, était l’amie intime de Fanny Tatin. Son cahier de cuisine, rédigé vers 1890, est la première trace écrite de la recette. Mais Albert insiste :
« Le vrai secret est en bas de page. »
Il lit la note finale :
« Cette recette a été inventée par la cuisinière du Comte de Châteauvillard. »
Le Comte, Alfred Leblanc de Châteauvillard, riche aristocrate passionné de chasse, avait acquis le château de Tracy près de Lamotte-Beuvron en 1872. Sa cuisinière anonyme transmit la recette à Fanny Tatin, qui la perfectionna à l’Hôtel Tatin.
« Une passation de savoir, pas un accident ! » grince Albert.
Le Vol de l’Histoire
Albert s’échauffe, tapant du poing sur le comptoir.
« Et puis débarquent les types de Maxim’s dans les années 30. Ils ont embelli l’histoire pour vendre du rêve aux Parisiens : une sœur distraite, une tarte renversée… Du cinéma ! »
Il cite Louis Vaudable, le propriétaire de Maxim’s, qui prétendit en 1932 avoir infiltré l’Hôtel Tatin déguisé en jardinier pour voler la recette.
« Un mensonge éhonté ! Vaudable est né en 1902, alors que les sœurs Tatin étaient mortes depuis 1917. »
La vérité ? Maxim’s récupéra le mythe pour masquer son appropriation.
« Ils ont transformé un savoir-faire en farce, et nos sœurs en idiotes. »
La Résistance du Petit Ripailleur
Dans sa cuisine, Albert applique le manuscrit à la lettre :
- Pommes locales : Reinettes ou Calvilles, pas de Golden Delicious.
- Cuisson : Dans un moule en cuivre, sur feu de bois, avec couvercle garni de braises.
- Renversement : À la sortie du four, avant que le caramel ne fige.
« Je respecte le cahier de Marie, pas les légendes de bistrot, » dit-il en servant une part croustillante.
« Chaque tarte ici est un acte de résistance. Contre l’oubli, contre les imposteurs. »
Le Silence des Archives
Albert rêve de retrouver l’original du manuscrit.
« Il dort aux archives de Blois, mais personne ne le sort de l’ombre. »
Pourtant, ce document est un trésor : il invalide la fable de l’accident et redonne leur dignité aux Tatin.
« Les sœurs n’étaient pas des maladroites, mais des gardiennes d’un héritage, » conclut-il.
« Et moi, fils de Lamotte-Beuvron, je perpétue ça ici, à Montrichard. Pas pour les touristes, mais pour la mémoire. »
Alors que l’odeur de caramel emplit la salle, un client murmure :
« C’est meilleur qu’à Paris. »
Albert sourit.
« Bien sûr. Ici, on cuisine avec de la vérité. Et ça, ça se goûte. »
L’Histoire Réhabilitée : De Marie Souchon à la Renaissance d’un Héritage
Le Contexte Solognot
Pour comprendre la tarte Tatin, il faut plonger dans la Lamotte-Beuvron des années 1880.
Le village, traversé par la ligne de chemin de fer Paris-Toulouse, voit affluer chasseurs et aristocrates. L’Hôtel Tatin prospère grâce à cette clientèle aisée qui raffole des repas post-chasse.
Dans ce contexte, la transmission de la recette par la cuisinière du Comte de Châteauvillard à Fanny Tatin prend tout son sens : un échange entre domestiques et commerçantes, hors des cercles élitistes.
Marie Souchon, témoin de cette transmission, la consigne par souci de précision pédagogique – une institutrice qui documente le savoir local.
La Bataille des Références Culinaires
La publication de la recette en 1921 par le poète Paul Besnard dans Blois et le Loir-et-Cher fut confidentielle.
Ce n’est qu’en 1926, quand Curnonsky la reprit dans La France gastronomique, qu’elle gagna Paris.
Mais le mythe de l’accident, plus vendeur, éclipsa la version de Marie.
Albert fulmine :
« Curnonsky et Maxim’s ont préféré la romance à la réalité. Pour eux, une cuisinière anonyme et une institutrice de campagne, c’était trop ordinaire. »
L’Art de la Vraie Tatin
La recette originelle exige une rigueur presque scientifique :
- Moule de cuivre : Conductivité thermique parfaite pour un caramel homogène.
- Pommes en couches : Aucun espace, pour une tenue parfaite au renversement.
- Feu "égal dessus et dessous" : Les braises sur le couvercle créent un four de campagne.
« C’est cette précision que Maxim’s a occultée, » soupire Albert.
« Eux, ils ont industrialisé le mythe. »
Montrichard, Havre de la Mémoire
Installé à Montrichard, Albert puise dans ses racines lamottoises.
Sa tarte est un hommage aux femmes du terroir : la cuisinière anonyme, Fanny Tatin, Marie Souchon.
« Elles méritent mieux qu’une anecdote, elles méritent un héritage, » dit-il en regardant le Cher couler.
Dans son restaurant, une affiche résume sa philosophie :
« Ici, la Tatin n’est pas tombée par terre – elle est née d’un savoir-faire. »
« Chaque fois qu’un client demande ‘la tarte de l’accident’, je sors la photocopie. Et je dis : ‘Non. Celle de la transmission.’ »
– Albert, Le Petit Ripailleur, Montrichard.
Cette histoire, Albert la vit comme une reconquête. Entre les lignes du manuscrit de Marie Souchon, il a trouvé plus qu’une recette : l’âme résiliente de la Sologne. Et dans son four à bois, il fait vivre cette mémoire, une tarte à la fois.
Rien n'exige autant d'élégance dans l'imagination qu'une note de fin, et ici, nous ne faillirons pas à l'exercice. Bien que le personnage d’Albert, ce philosophe du zinc et gardien des saveurs oubliées, soit une création fictive, l’histoire qu’il défend avec tant de verve est, elle, tout à fait authentique. Oui, la tarte Tatin – ce joyau caramélisé né des brumes de la Sologne – existe bel et bien, et la vérité derrière sa création transcende les mythes joliment fabriqués.
Ainsi, aussi romanesque soit son plaidoyer, Albert incarne une fidélité à la mémoire collective, un hommage aux anonymes du terroir et aux sœurs Tatin elles-mêmes, souvent mal servies par l’embellissement des récits parisiens. Si vous êtes tenté de rayer du menu la version des "accidents de cuisine", sachez que nous vous y encourageons chaleureusement. Dans un monde souvent obsédé par l'ultramoderne, il est vivifiant de redonner la parole à l'authentique.
Et puis, qui sait ? Peut-être qu’un jour, un verre à la main au Petit Ripailleur – si toutefois il existait – vous voudriez lever une coupe à la fois à l’imagination et à la vérité. Car dans l’univers de la tarte Tatin, les deux ne sont jamais très éloignées – un peu comme les pommes et le caramel. Bon appétit !
? Vous avez aimé plonger dans nos histoires ? Ne laissez pas la magie s'arrêter ici ! Inscrivez-vous dès maintenant à notre newsletter et soyez les premiers informés des nouvelles chroniques, des récits inédits et de l’évolution de ce projet qui réserve encore bien des surprises. Une seule promesse : des histoires, des portraits, des regards inspirants sur notre belle communauté et surtout, aucun spam. Rejoignez l'aventure et devenez un acteur privilégié de cette communauté qui fait vivre notre histoire ensemble. ? Inscrivez-vous, c'est juste en dessous et ça prend moins d'une minute !
Remplissez le formulaire ci-dessous pour vous inscrire
En vous inscrivant aujourd'hui, vous ne prenez aucun engagement financier. Vous faites partie des pionniers qui donnent vie à un nouveau regard sur le Loir-et-Cher.