Ce samedi-là, au petit café du coin, Cyrille sirotait son Orangina avec la régularité méthodique d’un métronome. Le claquement subtil des glaçons contre le verre ponctuait ses paroles d’un rythme apaisant, tout en accentuant sa manière particulière de rendre chaque conversation empreinte de profondeur. Cyrille est de ceux que l’on pourrait qualifier de « conteurs naturels ». Il a un talent pour mêler le quotidien et l’Histoire avec un aplomb déconcertant, nous faisant croire, l’espace d’une discussion, que tout est relié, que chaque mot s'inscrit dans une trame plus vaste.
Moi, j’avais à peine touché mon café. Je le tenais entre mes mains un peu distraitement, l’attention captée par Cyrille qui, ce jour-là, semblait particulièrement en verve. Tout était parti d’une remarque anodine de ma part. Un sujet léger et sans prétention, la mention de l’église de Nanteuil, devant laquelle je passe régulièrement à vélo. Un bâtiment que je trouvais presque vivant, aussi élégamment perché dans le paysage qu’un mirador sur le temps. « Elle est incroyable, » avais-je lancé, avec un air méditatif qui semblait convenir au moment. « Il paraît qu’il y a une fontaine sacrée, non loin ? »
L’œil de Cyrille s’était mis à briller légèrement, ce qui était, chez lui, toujours bon signe. Il avait posé son verre avec une lenteur calculée, comme si le simple acte de déposer de l’Orangina sur une table signalait l’arrivée d’un moment significatif.
« Oui c'est vrai, mais ce n’est pas exactement à côté de l’église… » avait-il répondu, l’air malicieux.
Je m’étais penché vers lui, piqué par une curiosité à peine dissimulée. Cyrille, avec sa précision presque cartographique, avait alors pris le temps de me décrire l’itinéraire, comme s’il me préparait pour un pèlerinage : partir de l’église, longer le passage à niveau, avancer entre les arbres jusqu’à ce que la lumière se fasse plus douce et que tout semble légèrement changer. Il m’assurait que l’on ne pouvait pas se tromper. Et puis, dans un éclat chaleureux et encourageant, il avait ajouté : « Prends le temps une fois sur place. C’est un endroit qui se vit plus qu’il ne se voit. »
Je ne sais pas si c’était son ton, ou l'ambiance chaleureuse du café, mais je m’étais soudain senti presque obligé de m’y rendre. De mener cette exploration, comme si elle relevait d’une promesse tacite. Je me promettais donc à cet instant précis de m'y rendre dès que les circonstances le permettraient.
Quelques jours plus tard, un peu avant midi, je me retrouvais à enfourcher mon vélo, porté par cette étrange envie presque incontrôlable. Cyrille n’avait pas simplement éveillé ma curiosité, il l’avait empoignée, remplie d’un poids tangible, comme une promesse que je me devais de tenir. En passant devant l’église de Nanteuil, je marquai une pause. Les pierres anciennes, ornées d’une patine d’histoire, semblaient absorber la lumière douce d’avril comme pour me signifier qu’ici, passé et présent formaient un écho perpétuel. Je jetai un dernier regard à l’élégante structure, son clocher dressé comme une aiguille marquant l’infini.
Le trajet jusqu’à la fontaine s’étirait comme une métaphore en soi. D’abord, le mouvement à travers le familier : une boulangerie, le cimetière, les pompes funèbres. Puis, le basculement. Quand je traversai le passage à niveau, quelque chose d’imperceptible changea. L’air se faisait plus frais, empruntant soudain une teinte d’humidité, et les sons modernes – moteurs, voix – s’estompaient, comme laissés derrière moi. La route se resserrait ; les arbres plus grands, plus denses, formaient une voûte ombragée. Chaque coup de pédale me semblait chargé d'une gravité nouvelle, comme si je franchissais graduellement une frontière invisible.
La fontaine : un lieu qui se murmure
La fontaine, lorsqu’elle apparut enfin, ne s’imposait pas à la manière des grandes merveilles. Non, elle se murmurait. Au premier regard, elle était presque dissimulée au cœur d’un écrin d’arbres, comme une respiration retenue. Une petite structure surmontée d’un toit pyramidal abritait l’eau, immobile et verte, discrète comme un fragment du passé pris au piège d’un présent opulent. Mais elle n’avait rien d’inerte. Son oubli apparent, ses teintes stagnantes, cette lumière qui semblait ricocher paresseusement sur sa surface oppressante – tout cela lui conférait un poids, une densité presque surnaturelle.

Je me suis approché, délaissant mon vélo contre un tronc, attiré comme l’on avancerait vers une énigme. Le silence alentour n’était pas une absence, mais une présence : celui d’un lieu qui retient son souffle, trop ancien pour participer au bruit du monde. L’air avait changé ici, plus dense, porteur d’une odeur à la fois métallique et brute, mêlant eau et terre. L’atmosphère semblait étrangement pesante, comme si l’endroit observait, mesurait chacun de mes pas. Là, devant cette eau tranquille, Cyrille avait raison : ce n’était pas un lieu que l’on admire ou explique. C’était un lieu qui demandait à être vécu.
Plus tard, encore saisi par ce sentiment d’avoir touché du doigt un mystère resté entier, je me suis souvenu des deux volumes enfouis sur une étagère haute de ma bibliothèque : Étude historique sur Montrichard et Nanteuil. Ils étaient là depuis longtemps, accumulant une fine couche de poussière comme pour mieux protéger leurs secretsUne phrase sobre, presque oubliée dans la marge des siècles, captura mon esprit :
« La source qui existe encore à quelque distance de Notre-Dame de Nanteuil était en vénération dans le clan druidique occupant nos vallées. »
Tout à coup, la vision de cette eau verte, ce calme oppressant, prit une autre dimension. La fontaine était ancienne, bien plus ancienne que les pierres de l’église même. Elle portait les traces invisibles d’une époque où le sacré prenait racine dans la nature, non dans l’architecture. Et pourtant, là était tout le paradoxe : au fil des siècles, l’Église s’était approprié ce lieu, surplombant la source d’un autre sacré, réorientant sa signification. Ce n’était pas une contradiction, mais une continuité, peut-être même un dialogue entre le druidique et le chrétien. La fontaine, avec son eau mystérieuse, son toit pyramidal, se tenait à la croisée de ces deux mondes.
Que reste-t-il d’un tel lieu dans nos vies modernes ? Peut-on vraiment se tenir là, face à de telles forces – forces naturelles, historiques, mystiques – et ne pas se sentir envahi par une étrange humilité ? Ce n’était pas simplement un voyage vers une curiosité locale, ni un simple pèlerinage. C’était une rencontre avec ce qui dépasse le temps, ce qui traverse les siècles pour nous rappeler que nous sommes les passagers d’un monde empli d’ombres et de traces. Une fontaine oubliée, un ruisseau, une pierre cachée : ces lieux ne sont pas un patrimoine à proprement parler, mais un fragment de mémoire, une résistance subtile contre l’oubli.
Et dans cette alchimie inexplicable où se mêlent légendes volatiles et preuves tangibles, je comprenais enfin ce que Cyrille voulait dire : « Ce n’est pas un endroit pour des réponses. Mais pour des histoires. »
La fontaine que je venais de découvrir, avec son eau verte et ses contours oubliés, n’était pas seulement un lieu. C’était le souvenir d’un temps où l’église et elle, ensemble, avaient incarné quelque chose de presque sacré. Pour autant, ce lien restait à explorer, à déchiffrer. Mais ça, j’avais tout le temps d’y venir.
A suivre...
🌟 Vous avez aimé plonger dans nos histoires ? Ne laissez pas la magie s'arrêter ici ! Inscrivez-vous dès maintenant à notre newsletter et soyez les premiers informés des nouvelles chroniques, des récits inédits et de l’évolution de ce projet qui réserve encore bien des surprises. Une seule promesse : des histoires, des portraits, des regards inspirants sur notre belle communauté et surtout, aucun spam. Rejoignez l'aventure et devenez un acteur privilégié de cette communauté qui fait vivre notre histoire ensemble. 📬 Inscrivez-vous, c'est juste en dessous et ça prend moins d'une minute !
Remplissez le formulaire ci-dessous pour vous inscrire
En vous inscrivant aujourd'hui, vous ne prenez aucun engagement financier. Vous faites partie des pionniers qui donnent vie à un nouveau regard sur Montrichard.