Une nouvelle série hebdomadaire qui transforme notre ville en théâtre d'intrigues mystérieuses, où chaque coin de rue cache peut-être un secret...
L'aube pesait lourd ce matin-là sur Montrichard. Une lumière hésitante se frayait un passage entre les brumes du Cher, imbibant la ville d'une étrange mélancolie dorée. Le calendrier marquait un 20 mars, mais l'air sentait l'amorce des coups fourrés d'un roman noir. À 6 degrés à peine, on devinait un printemps qui jouait les légers, mais sur le pavé rugueux, une autre chaleur couvait. Sourde, inquiétante.
Dans le petit café de la place du Marché, surnommé "Au bout du Pont", les habitués se serraient autour de tasses fumantes, où une liqueur locale se mêlait sournoisement au café. La radio parasitée crachait un air qui s'entêtait, tandis qu'on jasait, mine de rien. L'histoire tournait autour de cette « embrouille », comme ils disaient, chez le fabricant de sushis du Controis-en-Sologne – un « mélange accidentel », qu'ils appelaient ça dans le journal. Mais autour des tables poisseuses du troquet, on se disait que personne n'accidentait des choses comme ça sans une raison. Pas dans ces coins-là.
En terrasse, malgré la froideur, Léon Blain rôdait. La cinquantaine marquée, des yeux trop fatigués pour être honnêtes, et une manière de tailler une pipe aux pommes que même les hirondelles autour du clocher savaient louche. Il n'était pas d'ici, Léon. Ou plutôt, il n'était plus d'ici depuis longtemps. Mais quand le fumet du crime ou de l'argent rôdait dans l'air, on pouvait compter sur le retour de l'ancien flic révoqué. Ce matin-là, il sirotait son noir serré, les narines flaireuses, quand la poussette d'un vieux break Peugeot s'immobilisa brutalement devant le café.
Au volant, une femme. Classes, perles aux oreilles, rouge à lèvres précis. Et pourtant, son manteau camel, griffé mais amaigri, sentait un luxe qui avait vu mille kilomètres de routes tordues. Elle sortit d'un pas nerveux, claqua la portière, et pénétra dans l'antre du café. Une main gantée fit glisser un billet sur le comptoir, tandis qu'elle lançait avec une voix faite pour fendre l'acier :
— Je cherche Léon Blain.
Autour, les gueules burinées devinrent muettes. On remonta des cols, on replongea dans les journaux. Léon Blain, silencieux dans un coin, releva enfin la tête.
— Et c'est pourquoi faire, m'dame ? répondit-il, tout en gardant son œil plongé dans sa tasse presque vide.
Elle le foudroya d'un regard noir.
— Parce que Montrichard va exploser, et vous êtes le seul à pouvoir empêcher ça.
Léon posa lentement sa tasse. Montrichard n'était pas exactement une ville habituée au grand spectacle – sauf peut-être quand les Portugais de Joué coinçaient son équipe de R2 à la dernière minute. Mais ces mots, dits de cette manière, donnaient l'impression que quelque chose d'énorme frémissait sous le ciel calme de cette commune nouvelle, née des poussières de Montrichard et Bourré.
— Alors racontez-moi tout, répondit-il, les deux mains soudain prêtes à tout encaisser.
Le café "Au bout du Pont" avait retrouvé son calme relatif, mais la cigarette de Léon Blain se consumait d'une manière différente ce matin-là. Trop rapide, trop nerveuse, comme si son propriétaire cherchait à fixer ses pensées au bout de ce mégot qui pendait au coin de sa lèvre inférieure. La femme venait de s’asseoir face à lui, sortant un carnet rouge usé de son sac en cuir. Elle posa le carnet entre eux comme une arme dégainée. Les habitués, feignant l’indifférence, tendaient leurs oreilles à en faire grincer leurs becs de gaz.
— J’y vais droit, dit-elle en toisant Léon comme une chatte à la fois curieuse et méfiante. Le genre de femme qu’on n'achète pas, mais qu’on peut louer si le prix se calcule en secrets plutôt qu'en billets.
Léon hocha lentement la tête, tapotant la cendre de sa cigarette dans une soucoupe déjà usée par des années d’ennui.
— Et moi, je vous écoute. Mais pas de cinéma. Y’a assez de toiles d’araignées dans ce rade pour qu’on se passe des violons.
Elle esquissa un sourire, maigre comme une journée trop courte. Ses doigts soignés s’emmêlèrent dans la lanière de son sac tandis qu’elle se lançait.
— Vous vous souvenez de l’affaire Controis. "Le mélange accidentel", qu’ils ont osé écrire dans la presse… Une erreur de traçabilité dans le riz à sushis ? Une intoxication générale qui a envoyé trois types à l’hosto et paralysé la petite activité commerciale du bled ? Tenez-vous bien : c’était pas une erreur. C'était un envoi. Volontaire.
Léon eut un léger ricanement. Une affaire de riz, volontaire ? Ça sentait la conspiration tirée par les cheveux, mais il ne dit rien. Parfois, le silence en disait plus long que les sarcasmes.
— C’est un message, ajouta-t-elle, penchée vers lui. Un genre de signature. Mon frère dirigeait l’entreprise de distribution alimentaire concernée. Jusqu’à ce qu’il disparaisse. Ni vu, ni pris, volatilisé du jour au lendemain. Et maintenant, c’est son associé qui est la cible de menaces… ici, à Montrichard.
Léon pinça les lèvres, écrasant la cigarette dans la soucoupe.
— Montrichard, hein ? dit-il d’un ton neutre, presque désabusé. Pourquoi ici et pas ailleurs ? Si vous cherchez du spectaculaire, vous êtes dans la mauvaise gare. Ici, c’est une histoire de bocaux de pâté maison et de vinaigre balsamique mal rebouché.
Un éclat froid traversa le regard de la femme. Elle ouvrit bruyamment le carnet rouge et fit coulisser une photo sur la table. Dessus, un homme en costume crème, mal ajusté, le visage d’un type prêt à s’évaporer dès que la caméra tourne ailleurs. Mais ce n’était pas son expression qui attira l’attention de Léon. C'était l’arrière-plan. Une vanette Peugeot blanche, banale pour quiconque sauf un œil averti comme le sien. Une immatriculation partiellement lisible indiquant une provenance locale.
— Ça vous parle ? demanda-t-elle sèchement.
Léon leva les yeux. La vanette appartenait, il en aurait mis la main au feu, à un petit entrepreneur de Montrichard connu pour s’impliquer un peu trop dans des affaires où « emballage artisanal » voulait dire bien autre chose qu’une garantie de qualité. Petit joueur hier, peut-être, mais aujourd'hui ? Rien n’est plus imprévisible que la montée en grade forcée d’un lâche.
— Et j’imagine que vous voulez que je gratte sous le béton pour voir ce qu'il y a, hein ? Pourquoi vous croyez que je vais dire oui, d’ailleurs ? Des privés à gages comme moi, ce n’est pas ce qui manque.
Elle haussa un sourcil. Un sourire ironique se promenait sur son visage comme un chat de gouttière sur une clôture.
— Parce que, lança-t-elle, Montrichard n’est pas faite pour les étrangers. Et dans cette foutue ruche, vous êtes la seule abeille assez vieille pour connaître où se cache le miel… et le venin.
Léon s’enfonça dans sa chaise, mais ses doigts nerveux taquinèrent déjà son briquet. Les vieilles habitudes avaient les dents dures. Cette histoire sentait mauvais, et ce genre d'odeur, il n’y résistait jamais longtemps.
L’après-midi tomba mollement sur Montrichard. Un ciel gris-plomb recouvrait la ville comme un couvercle trop lourd pour laisser s’échapper la lumière. Léon quitta le café et remonta la Grande Rue, son pas traînant résonnant sur les pavés. Les boutiques colorées tentaient de cacher un quotidien morne : charcuterie, boulangerie, fleuriste. Une ville propre, presque trop propre, qui semblait suinter quelque chose de trouble derrière son vernis provincial.
Au bout de la rue, il arriva devant une bicoque en briques rouges, coincée entre deux immeubles anodins. La porte, à peine fermée, grinça comme si elle s’efforçait d’arrêter le visiteur. Un atelier de mécanique improvisé. Des pièces de voiture jonchaient le sol, mêlées à des bidons d’huiles noires. Et au fond, assis sur une caisse renversée, un homme. Petit, sec, une casquette vissée sur le crâne. Léon reconnut tout de suite le type. Pierre "Minus" Vannier, un mécano local avec des activités bien au-delà du contrôle technique.
— Quand on revoit ta gueule, Minus, c’est jamais bon signe, lança Léon d’une voix bien portante.
Minus releva la tête lentement. Son visage, marqué par des rides prématurées, se figea dans un mélange de surprise et d’énervement.
— T’as pas perdu ton œil, hein, Blain ? Pourquoi t’es là ? J’ai pas d’histoire pour toi, cette fois.
Léon s’avança, feignant une nonchalance qu’il maîtrisait comme un foulard noué dans un col. Il sortit doucement la photo, la plaçant sous le nez de Minus.
— Cette caisse, Minus. T’étais dedans, ou t’as prêté les clés à un pote avec des plans pas très propres au dos d’un sac de riz ?
Minus pâlit légèrement, bougeant sur sa caisse comme s’il cherchait un moyen d’en descendre sans entrer dans le collimateur de Léon.
— J’sais pas de quoi tu parles…
Un sourire narquois se dessina sur le visage de Léon.
— Moi si, et pour toi c’est jamais bon signe. Va falloir causer franchement, Minus. Parce que sinon, c’est Montrichard qui finit par jaser. Et t'imagines bien qu'une ville comme ça, quand elle parle, c’est une meule à broyer l’avenir des mecs comme toi.
Dans l’ombre des ponts de Montrichard, des alliances se faisaient et se défaisaient, comme le flux inexorable du Cher. Léon Blain s’apprêtait à descendre dans des bas-fonds où le riz n’était qu’une couverture. Mais sous ce vernis culinaire, c’était peut-être les cendres quelque chose de bien plus explosif qui reposaient. Et cette femme, trop belle et trop nerveuse, restait un mystère dont Léon savait qu’il finirait par trancher les fils. À sa manière.
À suivre...
📖 Note de l'auteur : Cette série de fiction s'inspire librement de la vie locale de Montrichard et de ses environs, mêlant l'atmosphère unique de notre ville à l'esprit des romans noirs. Chaque samedi, plongez dans une nouvelle aventure où le réel et l'imaginaire se confondent dans les ruelles de notre cité médiévale.
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